Une naissance presque comme une autre

Témoignage de mon accouchement en pleine crise de la Covid19.

J’étais à 30 semaines. Ma grossesse allait bien. J’attendais la 34e semaine pour arrêter de travailler et j’avais hâte.

Puis, mon conjoint a perdu son contrat à cause du coronavirus. Le lendemain, toute ma communauté se retrouvait sans emploi parce que les Théâtres fermaient. Le surlendemain, je réalisais que beaucoup de choses allaient changer, pour le monde entier, pour ma cellule familiale, pour ma grossesse, pour moi. Je paniquais.

Nous étions le 14 mars 2020.

Durant toute la première semaine de confinement, je travaillais de la maison, avec des réunions virtuelles avec mon équipe. J’écoutais les nouvelles, les points de presse, je suivais les tableaux, le nombre de morts en Europe, la situation mondiale. Je n’étais plus enceinte, j’étais comme tout le monde, emportée dans ce climat de peur. Et puis, j’ai lu sur l’impact d’un tel stress sur un bébé à naître. Rien de bon évidemment. Rien. Il faut donc éliminer tout facteur de stress dans la vie d’une femme enceinte. D’accord, merci. Mais comment on fait pour éliminer le stress dans un contexte comme celui que nous vivons ? Quand tout est facteur de stress dans les médias, les discussions en familles, même en couple.

Je me suis coupée de tout. Plus de point de presse, plus de Nouvelles de 22 h. Je prenais les infos quand je sentais que j’étais capable de les prendre et mon conjoint filtrait ce que je devais savoir ou pas.

Et j’ai découvert plusieurs ressources pour m’aider à garder le focus sur le positif, de me recentrer sur mon bedon, plein de vie et de promesse de bonheur. Ma doula a été merveilleuse en rencontre Zoom pour nous donner des orientations de réflexions et elle m’a fait découvrir OPALEO.com. Cette doula a fait plusieurs « live » sur Facebook pour nous parler des inquiétudes directement liées à la situation actuelle. Il n’y a pas un cours de préparation à la naissance qui peut être donnée comme avant en ce moment. Rien n’est comme avant. D’entendre des réflexions sur le confinement et les les impacts que ça pouvait avoir concrètement sur moi, ça me donnait l’impression de vraiment travailler sur ma situation et ne pas juste envoyer des paroles en l’air : « faut pas que je stress ». Et ma doula m’a fait découvrir les techniques d’autohypnose HYPNODOULA. Ça a changé ma vie. Je n’avais jamais fait de médiation. Mais avec l’accompagnement de la créatrice d’Hypnodoula, je me suis centrée sur moi-même, j’ai réussi à créer mon univers intérieur complètement indépendant de l’extérieur. J’ai retrouvé le sourire et le calme intérieur. J’ai avancé vers l’accouchement, toujours avec mes craintes, basées sur une réelle situation, mais j’ai pu trouver de la place pour être simplement cette mère à l’écoute de son bébé et de ses pulsions. J’ai passé du temps à juste caresser mon ventre et ne penser qu’à ce petit bout de vie. J’ai fait ma grotte, douillette et réconfortante, et j’ai pu m’y réfugier quand ce fut le temps.

À 36 semaines et 6 jours, vers 10 h le matin, j’ai eu des petits signaux. Pas assez pour dire que c’est le moment, mais assez pour demander à ma mère de venir s’installer chez moi pour s’occuper de la grande de 5 ans, au cas où… C’était prévu comme ça, mais on s’était donné encore quelques jours avant qu’elle arrive pour de bon. Je suis allé prendre un bain pendant qu’elle s’en venait et les contractions ont commencé et se sont intensifiées. J’ai appelé la natalité une première fois. J’ai appelé ma doula. Je savais déjà depuis plusieurs semaines qu’elle ne pouvait pas m’accompagner. On n’avait pas encore défini de quelle manière on profiterait de sa présence pour l’accouchement. En sortant du bain, les contractions étaient déjà aux 5-6 minutes. Ma mère est arrivée, j’ai perdu mes eaux. J’ai rappelé l’unité d’obstétrique et d’un coup, je me suis rappelé que nous n’étions pas dans un monde normal. L’infirmière au téléphone m’apprenait que mon conjoint ne pouvait m’accompagner au triage. Il ne pouvait pas non plus attendre derrière la porte du département, il devait attendre dans l’auto qu’une infirmière m’aie examinée, qu’elles confirment que le travail est vraiment commencé et qu’il m’attribue une chambre d’accouchement. Je me suis mise à pleurer en m’imaginant rentrer seule à l’hôpital pour me rendre au 3e étage avec mes contractions et la moitié des bagages. Parce que nous sommes aussi au courant qu’une fois entrés au département, plus question de ressortir. Mon conjoint ne peut même pas aller à la cafétéria. Nous allons être confinés à notre chambre. Donc, il faut prévoir des collations, des vêtements, des couches, le siège d’auto, tout. Pour combien de temps, personne ne peut le prévoir.

Finalement, une fois rendu à l’hôpital, il y a eu confusion, mon conjoint a pu me pousser en fauteuil roulant jusqu’au triage. Mais il est reparti tout de suite, attendant les directives.

Je me rappelais les recommandations de notre doula sur les questions médicales. Elle nous proposait que tout passe par mon conjoint pour que je me mette dans un état de concentration, de cocon… Et bien on repassera. Toutes les questions m’arrivaient entre 2 contractions qui devenaient vraiment intenses… Et en plus on n’avait pas eu le temps d’imprimer notre plan de naissance. On en avait parlé, mais la discussion n’était pas terminée. J’essayais de me rappeler de tout et je ne faisais que me dire, ce n’est pas moi qui devrais répondre à ces questions, je me sentais un peu en colère. J’ai fini par appeler mon conjoint sur haut-parleur juste avant qu’elle m’examine. Il a donc entendu en direct que j’étais dilaté à 5. Il s’est mis à pleurer de joie, c’était une très bonne nouvelle. À mon accouchement précédent, j’avais bloqué à 5 et ça avait fini en césarienne. Mon conjoint pouvait venir me retrouver.

L’infirmière m’a amené dans la salle d’accouchement. Je me souviens avoir dû m’arrêter pour laisser passer une contraction. Je me suis agrippé au bras de l’infirmière et je me souviens lui avoir dit : « désolé, je vais essayer de ne pas vous souffler dans le visage… » Je suis en train d’accoucher et j’ai le réflexe de faire attention de l’orientation de mon expiration. Elle a ri un peu et m’a dit de ne pas trop m’inquiéter pour ça.

En arrivant dans la salle d’accouchement, on s’est installé et j’ai demandé qu’on appelle ma doula sur haut-parleur. Et puis la vie a trouvé son chemin dans mon corps. Les contractions semblaient efficaces, mon corps s’ouvrait parce que je lui demandais. Mon conjoint trouvait les mots pour me ramener dans ma grotte entre les vagues pour que je laisse la place aux endorphines. Ma doula suivait ma respiration et trouvait les mots pour m’accompagner dans ma douleur. Elle posait parfois une question sur ma position, mon conjoint lui répondait. Le personnel soignant était très discret, elles laissaient beaucoup de place à ma doula. Quand je ressentais une inquiétude, je la signifiais à ma doula, et l’infirmière se permettait aussi de me rassurer. J’ai dansé avec la douleur en doutant parfois que j’y arriverais, mais en suivant les vagues quand même. Après deux heures environ, ils m’ont proposé de m’examiner. J’ai été la première surprise, mais j’étais à 10 centimètres.

La médecin m’a dit que je pouvais pousser, mais je n’étais pas rendue là, pas prête, je cherchais mon boost d’adrénaline dont m’avait parlé ma doula et je ne le trouvais pas. J’ai exprimé mes craintes, mon questionnement et c’est ma doula qui a demandé si on pouvait attendre un peu. Le corps médical a suivi cette demande avec douceur. Et tranquillement, j’ai laissé mon corps me parler. Après une réelle pause de 10 minutes (c’est ma doula qui me l’a raconté par la suite), j’ai senti que je pouvais pousser. Ça m’a paru très long, j’avais l’impression que mes poussées n’étaient pas efficaces, mais avec ce que j’appellerais « l’amour » de tout le monde autour, j’y suis arrivé. Même l’infirmière s’est mise à me dire que j’étais merveilleuse, que je faisais super bien ça. Elle répétait « tu es merveilleuse ». Je ne sais pas pourquoi, venant d’elle c’était d’un grand réconfort. Et l’enthousiasme de mon conjoint qui, tout à coup, me dit qu’il la voit, notre fille, qu’elle a des cheveux. Tout d’un coup, il voit mieux que moi que dans quelques instants cette petite fille va exister. Il est plein de joie, de larmes, il sourit plus que tout au long de l’accouchement et ça me permet de pousser encore. Et enfin, ma médecin a dit : « viens la chercher » et elle était là, pleine de vie, de douceur, de chaleur, elle était dans mes bras, sur moi, elle était vivante dans ce monde en tempête. Ma tempête à moi s’est calmée d’un coup, plus rien n’existait, que cette bulle de douceur et d’amour inconditionnel. Ma doula pleurait, mon amoureux aussi. Pas moi. J’étais la louve qui avait réussi à mettre son enfant au monde malgré les prédateurs qui rôdent. J’étais plus forte que le confinement, plus forte que la COVID19, plus forte que la mort. Et j’ai senti le besoin de dire à ma fille que j’étais désolé du monde dans lequel je la déposais. Que j’allais tout faire pour lui rendre la vie douce, mais qu’il y en aurait des difficultés et que je tenterais de lui donner les outils pour les surmonter.

Ma doula nous a proposé de nous laisser dans notre bulle et on a raccroché, après 3 heures de communication.

Jusque là, accoucher en temps de COVID19 ou non n’avait pas eu beaucoup d’impact sur moi. La suite est moins agréable. On m’a conseillé de prendre une douche dans la salle d’accouchement parce qu’une fois à notre chambre, nous n’aurions pas accès au bain et à la douche. Et il n’y aurait plus aucune possibilité de ressortir de la chambre. Même pas dans le corridor. On a pris tout le temps nécessaire, on ne s’est pas senti brusqué. J’ai pris le temps effectivement de prendre ma douche. J’avais eu une césarienne à mon premier enfant, alors cette douche était tellement bonne et je n’en revenais pas d’être debout après seulement 2 heures de mon accouchement. Je me souviens qu’il y avait un grand miroir et que je pouvais voir ce corps déjà retransformé. Et je me sentais comme une guerrière.

On nous a amenés à notre chambre (avec tout notre attirail de camping). On avait l’impression d’entrer dans une forteresse. Toutes les portes fermées avec des codes et des cartes magnétiques… On est resté 2 nuits. Les protocoles ont changé plusieurs fois pour le port du masque de mon conjoint. Au début, c’était en tout temps, même quand on est juste entre nous, ensuite juste quand une infirmière rentre dans la chambre. Certaines nous ont dit aussi que ce n’était pas la peine puisqu’il ne s’approchait pas d’elles. Les infirmières étaient gentilles comme si la COVID19 n’existait pas. Par contre, quand on les remerciait de leur présence, de leur dévouement, la plupart répondaient qu’elles n’avaient pas vraiment le choix et que les conditions de travail étaient devenues bien difficiles. En natalité, elles sont pour l’instant assez protégées, mais elles nous ont raconté les histoires de collègues beaucoup moins chanceuses. Tout d’un coup, on prenait pleinement conscience que nous étions bien loin de cette crise au fond. Que ce qui se passe au front n’a rien de comparable à notre fatigue de confinement. Et nous n’avions qu’une envie : sortir de ce lieu de champs de bataille au plus vite. J’y ai pensé souvent à ces gens qui sont morts pendant que je… que nous mettions au monde une nouvelle vie. Et ma fille n’est pas la seule, il en nait tous les jours des bébés, dans tous les hôpitaux. On devrait demander à M. Legault dans un point de presse de nous donner la statistique du nombre de naissances depuis le début de la crise. Parce que dans ce monde où on compte les morts chaque jour, nous, on n’arrête pas de donner naissance à nos enfants…

Je suis rentrée chez moi avec ma petite fille merveille, j’ai retrouvé ma grande tellement fière d’être une grande sœur. Le printemps faisait éclore les bourgeons, la vie suit son cours. Et le début d’une autre histoire commence.

Texte par Clémence Doray