Léna Serre (publié dans le MZine 2021)

J’ai choisi un suivi sage-femme, pour la dimension humaine des rendez-vous. Je sais, pour avoir eu un premier suivi (sans avoir été la personne qui accouche) que les sages-femmes prennent leur temps et apprennent à nous connaître. Ce sont des rencontres humaines avant d’être médicales.

Plus que tout, je voulais un accouchement à domicile. Avant même d’être enceinte, j’avais cette conviction profonde que je voulais accoucher dans l’eau, dans le confort de mon chez-moi. Ma grossesse était à l’origine prévue pour se terminer au cœur de l’hiver, alors je m’imaginais donner naissance dans le sous-sol de ma maison, près du poêle, dans la piscine d’accouchement. Finalement, c’est en juin que bébé devait arriver alors on a abandonné le feu et décidé que le salon serait le lieu de naissance de notre deuxième bébé.

Est venue la pandémie. Et avec elle, l’arrêt des accouchements à domicile et, en même temps, l’arrivée des rendez-vous par téléphone, à raison d’un sur deux, ainsi que l’impossibilité pour ma conjointe et ma fille de m’accompagner aux rendez-vous en personne. Elles ont donc perdu leur suivi et ma fille, déjà très préparée et heureuse d’assister à la naissance de bébé, s’est vue écartée du projet. La dimension humaine de mon suivi a pris le bord. Très vite, j’ai demandé à ma conjointe de faire les rendez-vous téléphoniques à ma place. Elle retrouvait ainsi un semblant de suivi et moi, j’avalais mieux ces rendez-vous qui me déprimaient grandement, sans vraiment que je puisse mettre des mots sur le pourquoi. Les rendez-vous présentiels eux, bien qu’ils se passaient toujours bien, me perturbaient. Au lieu du visage souriant et rassurant de mes sages-femmes, je ne voyais qu’un masque et des lunettes de protection. La maison de naissance si vivante et joyeuse était devenue fantomatique, vide, résonnante d’absence. Anxiogène. C’était alors mes seules sorties en dehors de la maison, mes seules interactions avec d’autres personnes que ma femme et ma fille. Et pourtant ça ne me mettait pas en joie. J’ai vécu plusieurs semaines dans une sorte de déni. J’ai stoppé toute préparation, toute lecture et j’essayais de me rassurer en me disant que peut-être d’ici la naissance les choses reviendraient à la normale. Mais non.

Mon projet de naissance a complètement pris le bord et ce, malgré que nous ayons proposé plein d’idées pour le rendre possible ou pour l’adapter. On s’est buté à des « non » sans appel et sans discussion. J’aurais aimé sentir à ce moment-là, au travers de toute ma détresse de mon enfantement volé, parce que c’est comme cela que je le ressentais, que mes sages-femmes n’étaient pas vraiment d’accord avec tout ça, mais qu’elles n’y pouvaient rien.

Malgré tout, avec toute la résilience dont j’ai été capable, j’ai revu mon projet de naissance et l’ai validé avec les sages-femmes.

Le jour J, j’ai donc effectué une grande partie du travail chez moi, auprès de ma fille et dans la piscine comme prévu. Le travail a avancé très vite et il m’a donc fallu quitter le confort de mon cocon pour me rendre à la maison de naissance. J’ai la chance, à travers tout ça, d’avoir accouché le jour où les accompagnantes ont été réautorisées. J’ai donc appelé la mienne. C’est la seule qui a dû porter le masque dans la chambre de naissance, avec les sages-femmes bien sûr.

J’ai accouché il y a maintenant bientôt 10 mois. Tout de suite après mon accouchement, je vivais bien la façon dont les choses se sont déroulées, persuadée d’avoir fait la paix avec tout ça. Aujourd’hui, plus vraiment. Je ressens une colère sourde vis-à-vis de tout ce début d’année. J’ai l’impression de m’être fait voler ma grossesse et mon accouchement de rêve. Plus le temps passe, plus je suis persuadée que mon accouchement, qui s’est terminé avec ventouse, hurlements, peur et transfert pour suture (donc séparation de mon bébé), se serait bien déroulé et mieux terminé si j’avais pu rester chez moi. Le trajet vers la mdn m’a sortie de ma bulle. L’inconfort de la baignoire par rapport à la piscine m’a déconcentrée.

Aujourd’hui je regrette que les mesures en place lors de mon accouchement aient été les mêmes pour tout le monde, alors que j’étais dans une région à l’époque peu touchée. Je regrette que ma fille, qui s’avère être une super grande sœur, ait été privée de la naissance de son frère tout comme d’un tas d’autres choses cette année, alors que notre choix et que son envie était qu’elle soit là.

Aujourd’hui je me rends compte que j’ai passé ces mois en mode survie et acceptation pour le bien de mon bébé et que maintenant qu’il est là, en pleine santé et avec son sourire dévastateur, tous ces deuils que j’ai dû faire me rentrent dedans avec force.