Odrée

Témoignage sur les difficultés d’allaitement en temps de Covid-1

J’avais décidé d’accoucher dans un hôpital avec la certification « Ami des bébés ». Cette certification était supposée « protéger, promouvoir et soutenir et l’allaitement ». Il y avait même une politique d’allaitement maternel affiché sur les murs de la chambre de naissance, et qui indiquait, entre autres : « Nous vous assisterons pour mettre votre bébé au sein dans la demi-heure qui suivra sa naissance ; nous vous enseignerons comment allaiter et comment maintenir votre production de lait ». Normalement, cet hôpital offrait des cours prénataux spécifiques à l’allaitement, mais en raison de la pandémie Covid-19, ces cours avaient été annulés.

Après un accouchement induit en raison de pré-éclampsie, et qui a duré 48 heures, bébé moi étions très fatiguées, mais heureuses de se rencontrer. Bébé était sur moi en peau à peau et cherchait du réconfort suite à son apparition dans ce monde. Pendant qu’on faisait connaissance, je me faisais recoudre et j’avais l’impression que tout tournait très vite autour de moi. Après quelques minutes, j’ai essayé de la mettre au sein, mais je n’y arrivais pas. Je me sentais maladroite avec bébé ; elle était si petite et je ne savais pas comment m’y prendre pour la manipuler.

Tout de suite après avoir été recousue, on nous a demandé de quitter la chambre de naissance. J’ai insisté pour qu’on m’aide à allaiter puisque c’était mon premier bébé et ça ne fonctionnait pas du tout. En pointant l’horloge, je dénonçais à l’équipe soignante que ça faisait plus de 30 minutes que bébé était né et que je n’avais toujours pas réussi à la mettre au sein. L’infirmière en place n’était pas à l’aise de m’enseigner l’allaitement, alors elle a appelé une collègue. La collègue en question a tenté de m’aider avec la mise au sein à 2-3 reprises, mais en vain. Bébé pleurait de plus en plus, et je me sentais de plus en plus incompétente… Comment une chose qui avait été présentée comme étant si simple dans les cours prénataux me semblait à ce point impossible ? Dans le guide Mieux Vivre, on disait même que les bébés prématurés pouvaient être allaités ! L’infirmière a fini par me dire simplement : vous avez le mamelon plat, ça ne fonctionne pas. Mon univers s’écroule. Quoi ? Que voulez-vous dire par ça ne fonctionne pas ? Je ne pourrai pas allaiter ? Il n’y avait pas de temps pour discuter de ça apparemment. L’infirmière m’indiqua que je serais prise en charge au département post-partum pour l’allaitement. Personne pour me rassurer. Personne pour m’éduquer. Personne pour m’aider. Le personnel était pressé et il fallait changer de chambre. Même pas le temps de trouver mes gougounes, on me demandait de transférer au fauteuil roulant et de quitter avec mes bagages.

Je ne comprenais rien, tout allait trop vite. Bébé pleurait et semblait terrifié. Elle avait été poussée dans un « canal » pendant 48 heures. Son arrivée en ce monde n’avait pas été des plus douces, je la comprends. Je la tenais dans mes bras, mes yeux dans ses yeux, assise dans un fauteuil roulant poussé par une préposée. À ce moment-là, je me sentais déjà dévalorisée comme mère : en couche et en jaquette, prisonnière d’une intraveineuse et d’un fauteuil roulant avec un bébé qui crève de faim... C’était loin d’être un scénario idéal.

Arrivés au département post-partum, tout s’est déroulé extrêmement vite aussi. Bébé a été pesé, la vitamine K lui a été injectée, elle a été emmaillotée et hop, tout le monde au lit. Quelques heures après l’accouchement, je n’avais pas encore allaité, mais personne ne semblait en faire un cas. J’avais affaire à une équipe de spécialistes « Ami des bébés » après tout ; je me suis dit que je pouvais faire confiance. Bébé s’était apaisé (ou plutôt elle était passée en mode « économie d’énergie ») et j’étais complètement épuisée alors j’ai fermé les yeux et je me suis endormie instantanément.

Quelques moments plus tard, bébé se réveille, affamé sûrement. J’ai essayé de la mettre au sein à nouveau. Impossible. J’ai sonné la cloche. Une infirmière est arrivée. Je lui ai dit que j’étais incapable d’allaiter. Elle a essayé d’extraire du colostrum. Quelques gouttes sont sorties. Ça faisait terriblement mal. J’avais déjà des rougeurs aux mamelons. Ça commençait bien mal l’allaitement. Bébé n’ouvrait pas la bouche pour prendre les gouttes de colostrum exprimées. J’imagine que le goût du savon désinfectant sur les mains ne devait pas aider. Elle avait un besoin de succion et elle tétait dans le vide, incapable de s’accrocher à mon sein. Moi, j’étais frustrée et inconsolable. Mais comment allait-on la nourrir ?

Pendant les 2 jours d’hospitalisation post-partum, le même scénario se produisait chaque 2-3 heures : bébé pleurait, elle avait faim, j’étais incapable d’allaiter, une infirmière venait m’assister et on arrivait à donner un peu de colostrum. J’avais assez de lait apparemment, selon les infirmières.

On me donna congé de l’hôpital 36 heures plus tard. Des bonnes statistiques pour l’hôpital accrédité « Ami des bébés » : durée de séjour de 36 heures post-partum et mère qui allaite au congé ! Pourtant, je n’avais pas été en mesure de mettre bébé au sein une seule fois de manière autonome. Malgré tout, personne ne m’avait référée à une conseillère en lactation. Personne n’avait évalué la présence de risques pour bébé du fait que 1 – je n’avais pas de lait ; 2- j’étais incapable de mettre bébé au sein ; et 3 – bébé avait déjà perdu 6 % de son poids. Le pire, en y repensant, c’est que je n’ai pas eu de plan pour favoriser l’allaitement suite au congé : routine de tire-lait et d’allaitement pour stimuler la montée de lait, référence à une conseillère en lactation, recommandations d’aides à la lactation en cas de difficultés d’allaitement. Rien de tout ça ne m’a été recommandé. Alors la certification « Ami des bébés », ça veut dire quoi exactement ? Est-ce que c’est vraiment une philosophie et une compétence ou juste une série de formulaires que des gestionnaires ont remplis pour faire rayonner l’établissement ?

Je l’avoue, je manquais de sommeil et je n’ai pas cherché à faire valoir mes droits lors du congé ; j’ai été passive dans ce processus. Ça faisait 4 jours que je n’avais pas du tout dormi et j’avais hâte de retrouver le confort de ma maison.

Au jour 3 de vie de bébé, quand l’infirmière du CLSC a fait son évaluation, bébé avait perdu plus de 10 % de son poids et avait une jaunisse. L’infirmière m’a dit : il faut se présenter à l’urgence ou débuter la formule de lait de vache immédiatement. C’est là que Covid-19 est entrée en jeu… Si c’était à recommencer, j’aurais été directement à l’urgence avec bébé et j’aurais insisté pour voir une conseillère en lactation et mettre en place un plan d’allaitement. Apparemment, il y a des conseillères en lactation dans chaque hôpital, mais ce service est rarement proposé aux mères. Cependant, puisque j’avais peur des conséquences si mon bébé attrapait Covid-19, je ne voulais pas retourner à l’hôpital. Alors j’ai opté pour la formule de lait de vache, en me disant que c’était temporaire. La jaunisse s’est réglée en 2 jours… Par contre, on a découvert quelques jours plus tard que ma fille était allergique au lait de vache et que son intestin en avait pris un dur coup, puisqu’elle avait du sang dans les selles et, éventuellement, des diarrhées hémorragiques. Le tort avait été fait. Le système digestif de bébé n’arrivait plus à reprendre le dessus malgré un régime d’éviction très stricte de ma part.

Finalement, malgré un combat perpétuel pour préserver l’allaitement pendant 3 mois, bébé et moi avons chacune développé plusieurs complications de santé, donc l’allaitement a dû être mis en pause pour notre santé physique et mentale à toutes les deux. C’est un deuil immense que je n’ai pas encore surmonté. J’aurais tellement voulu que ça fonctionne. Ce n’est pas juste à cause de la Covid-19, c’est clair. Mais disons que le Covid-19 a été un obstacle très franc à l’allaitement, en m’empêchant d’accéder à des ressources quand j’en avais besoin. Par exemple, ça a pris un mois avant que je puisse rencontrer une conseillère IBCLC en personne. Bien franchement, je ne pense pas qu’on puisse évaluer un frein de langue ou une prise au sein ni enseigner un positionnement convenable par Zoom. De plus, quand j’ai cherché à consulter pour le sang dans les selles, et que la clinique du pédiatre était fermée (durant le temps des fêtes), je n’ai jamais été capable de voir un médecin en personne au sans rendez-vous, et j’ai dû me rendre à l’urgence de l’hôpital Sainte-Justine pour avoir des services. Heureusement j’ai eu du soutien téléphonique de plusieurs amies, membres de la famille, collègues de travail et marraine d’allaitement. Ce soutien, même si à distance, a été extrêmement précieux. Il ne faut donc pas sous-estimer la présence bienveillante dont les mamans ont besoin : toutes les paroles, les messages, les appels et les offrandes comptent.

Une maman qui apprend à être maman, O.M.M.