Gabrielle
12 mars 2020, je me prépare à faire ma dernière journée de travail avant mon congé de maternité. En soirée, on annonce une pandémie, on ferme les écoles et on nous demande de se confiner. Je pense (naïvement) qu’il n’y a rien de grave, tout va être terminé avant que j’accouche mi-avril. J’avais tort, je passe le dernier mois de ma grossesse enfermée chez moi, la peur au ventre d’attraper le méchant virus et de le transmettre à ma fille qui est bien au chaud dans mon ventre. À ce moment, aucune donnée ni étude ne démontrent les risques pour les femmes enceintes et les bébés. Mon médecin ne peut donc pas répondre à mes questionnements et mes craintes, nous sommes dans l’inconnu. Ma date prévue d’accouchement approche, je continue mes suivis chez mon médecin chaque semaine et j’apprends durant une conférence de presse que les pères des bébés à naître à l’hôpital juif ne peuvent plus assister à l’accouchement. Je ne suis pas une personne de nature anxieuse, mais cette annonce et la possibilité de devoir vivre ce moment qui est censé être un des plus beaux jours de ma vie seule, me bouleverse beaucoup. J’appelle mon hôpital pour savoir si eux aussi demandent aux futures mères d’accoucher seules et on me répond qu’aujourd’hui, ils acceptent les pères, mais que demain les consignes peuvent changer et qu’ils ne peuvent rien me garantir. Quelques jours avant mon accouchement, confinée depuis 3 semaines sans voir ma famille et mes amis, j’ai de la difficulté à gérer toutes les émotions et les peurs d’accoucher seule, sans oublier les émotions dites normales d’une femme qui s’apprête à donner la vie. J’ai appelé plusieurs fois l’hôpital et regardé tous les jours les conférences de presse pour être certaine que les règlements ne changeaient pas. Alors que normalement, j’aurai dû vivre mes derniers moments de bonheur et d’anticipation avec mon gros ventre rond, j’avais seulement une idée en tête : accoucher, avant qu’ils refusent l’accès aux conjoints.
11 avril 2020, l’accouchement se passe à merveille avec mon copain à mes côtés, des infirmières et une médecin fantastique. On m’avait prévenu qu’une fois à l’intérieur de l’hôpital, il serait impossible de faire des allers-retours. Je devais tout amener et nous serions confinés à notre chambre jusqu’à notre sortie. Cinq jours plus tard, et une jaunisse guérie, nous sortons de notre petite chambre de courtoisie pour enfin retourner chez nous et pouvoir présenter notre petite Florence « ah non, c’est vrai ! Il y a une pandémie et je ne pourrai pas montrer mon plus grand bonheur à ma mère et au reste de ma famille, nous allons devoir la présenter sur zoom ». Mon médecin me dit sans trop de conviction de me confiner 3 semaines après accouchement, les infirmières quant à elles me disent ne pas avoir d’information sur le sujet et le médecin d’une amie qui s’apprête à accoucher lui dit qu’aucun confinement n’est nécessaire… Confus sur la marche à suivre, nous restons tout de même trois semaines seuls à la maison, sans aucune aide extérieure et avec beaucoup de Zoom.
1er mai 2020, mes parents prennent (illégalement) leur petite fille pour la première fois dans leur bras et je réalise alors que je dois faire un deuil. Le deuil de pouvoir présenter mon trésor à tous ceux que j’aime. Le deuil de tout ce que j’avais imaginé et rêvé de faire avec mon bébé. Le deuil du congé de maternité planifié avec plein d’activités pour apprendre à connaître ma fille et à me connaître en tant que nouvelle maman.
11 avril 2021, un an après cette rencontre qui a changé nos vies. On m’aurait dit, il y a un an, que j’allais fêter la première année de ma fille encore à distance, je ne vous aurais pas cru. Pourtant, nous voilà tous à 2 mètres à chanter bonne fête dans un parc, avec la peur de se faire dénoncer par un passant.
Je me considère très chanceuse, parce que j’ai un bébé « facile » qui a fait ses nuits à partir de 2 semaines, que mon allaitement a fonctionné du premier coup et que mon conjoint étant enseignant, a été à la maison avec nous une grande majorité de l’année, mais malgré tout, j’ai trouvé, et je trouve, encore cette épreuve très difficile. Je travaille toujours sur mon deuil de la maternité que j’avais imaginé. Sans l’aide de ma famille et de nos amis, et sans nos « Tricheries » des règlements sanitaires, je ne serais pas la mère et la femme que je suis aujourd’hui.